Corbeaux
Il est des jours que la vie vous vole. Le réveil grince comme une craie sur un tableau, la journée passe sans saveur, le soir arrive trop vite, et vous vous retrouvez dans votre lit, incapable de lutter contre le sommeil qui vous happe sans pitié. Oui, il est des jours trop matériels pour vous laisser à vos rêves.
Et puis, de temps en temps, un enchantement vous tire de cette torpeur.
Ce matin-là, pressée, j'avais besoin de pain, il était encore tôt, à peine huit heures. La brume recouvrait tout. J'aurais dû me douter qu'elle me préparait quelque chose. Des voitures mal garées encombraient la rue principale de Ploudalmezeau. Les fantomes se figeaient sur le trottoir de la boulangerie.
Je remarquai un panneau qui indiquait un parking au coin. Je décidai d'y laisser mon véhicule. Surprise, je découvris une vieille bâtisse de pierre, et à côté, un parc envahi par des arbres. Pas n'importe quels arbres. Grands. Vieux. Majestueux.
Au sortir de la voiture, j'eus un choc.
Des corbeaux croassaient et agitaient les frondaisons. Pas deux ou trois, des dizaines. Le froissement de leurs plumes, le battoir de leur ailes, le frisson des arbres assiégés me clouèrent sur place. Les corbeaux tenaient les hauts, avec un entrain pavé de sarcasmes stridents. Ravis de ce vacarme, ils exultaient d'effrayer les hommes, lesquels se hâtaient de regagner la rue.
Incrédule, sidérée, je me tenais à la lisière de leur domaine, remuée dans les tréfonds de ma chair par cette magie qu'ils me jetaient à la figure. A travers eux, l'imaginaire défiait la réalité.
Dans les lectures et les écrits, on rêve ce genre d'instant.